Jean-Yves Le Drian vu par…

La droite

Si elle refuse de parler d’union nationale, la droite revendique une «opposition constructive» sur les questions de défense. Cela tient en partie à la personnalité de Jean-Yves Le Drian – que Nicolas Sarkozy a tenté de débaucher trois fois entre 2007 et 2012 – et à sa longévité à la tête du ministère de la Défense. «Il entend nos critiques et il est entendu par le chef de l’Etat», résume le député LR Jean-François Lamour, très investi dans le débat militaire. «Son gros atout c’est qu’il n’est pas arrogant, corrobore Jean-Pierre Raffarin. Il ne joue ni les héros ni les va-t-en-guerre. Il a une forme d’humilité qui sied aux circonstances». Pour l’ex-Premier ministre, «vu la gravité de la situation internationale et les difficultés budgétaires, tout triomphalisme serait une faute». Et puis, les dirigeants de droite ne le diront jamais, mais Le Drian «c’est quand même le mec qui a vendu les Rafale de Dassault alors que Sarkozy n’y est jamais parvenu», s’amuse un spécialiste des questions de défense. Le respect est tel qu’Alain Juppé lui a confié qu’il le garderait bien s’il accédait à l’Elysée.

Des critiques subsistent évidemment. Sur les méthodes «peu orthodoxes» du ministre, qui préfère les décrets d’avance à un collectif budgétaire tardif. Sur les cessions immobilières des armées ou le «modèle économique franchement exotique» – dixit Lamour – des sociétés de projet, que le ministre a créées pour que l’armée puisse continuer à acheter du matériel sans grever son budget. Mais aussi sur la vente de Rafale au bloc sunnite ou sur le choix de mettre des militaires plutôt que des policiers pour Vigipirate-Sentinelle (le dispositif déployé après les attentats de janvier pour protéger les «points sensibles» du territoire).

Mais c’est au sein de la droite et non face à Le Drian que l’actualisation de la Loi de programmation militaire (LPM) a donné lieu à une confrontation. Sur consigne de Sarkozy, qui ne voulait offrir aucun succès à la majorité, les députés LR ont voté en première lecture contre l’augmentation, en euros et en hommes, prévue. Certains député versant dans la surenchère comme Philippe Meunier, qui a réclamé 10 milliards de plus (contre 3,8 obtenus). D’autres, proches de Juppé ou de Fillon, sont passés outre l’oukase sarkozyste et ont opté pour une «abstention bienveillante». De son côté, Raffarin a fait voter les sénateurs de droite en faveur de la LPM relookée.

L’armée

Du général étoilé à l’officier de terrain, tous marchent du même pas pour saluer Jean-Yves Le Drian comme «un vrai patron». «Il commande, a mis tout le monde au pas. Du coup, la haute hiérarchie militaire l’adore», constate un député de l’opposition, membre de la commission de la Défense. «Il a obtenu des choses qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait été capable de décrocher», reconnaît, admiratif, un général habitué du ministère. Avec un argument décisif  : l’engagement sans précédent des forces armées militaires sur différents des théâtres d’opérations extérieurs et intérieurs.

«Après les efforts budgétaires et humains, les restructurations menées par l’armée comme aucune autre administration, il était impossible d’aller plus loin, au risque de mettre à mal notre outil de défense», résume l’entourage du ministre. Outre une promesse de «sanctuarisation» du budget de la Défense, il a notamment obtenu, depuis les attentats de janvier, la réduction des baisses d’effectifs prévues et 3,8 milliards d’euros de rallonge pour financer les nouvelles missions dont la sécurité intérieure et 10 000 nouveaux contrats pour de futures recrues, principalement dans l’armée de terre. Cette remise à niveau de la LPM prévoit également l’acquisition de nouveaux hélicoptères et un renforcement des dotations destinées aux forces spéciales devenues clefs de voûte des interventions contre le terrorisme islamique. A l’état-major, les hauts gradés saluent  un ministre qui, «sans en demander plus qu’il n’en faut, a très bien compris nos demandes».

In fine, seul le général Puga, chef d’état-major particulier du président de la République, un survivant de l’alternance de 2012, a de quoi regretter les années Sarkozy puisqu’une partie du pouvoir est repartie à l’hôtel ­de Brienne – alors que jusque-là, ce catho tradi à la réputation d’homme de clan et de coteries pouvait se vanter d’avoir l’oreille du chef suprême des armées. Et Le Drian a tenu à mettre les choses au clair, redoutant que ce général minimise ses demandes auprès de François Hollande. D’où une explication de gravure «franche et cordiale». «Vous lui cachez des choses [au chef de l’Etat, ndlr]. Vous ne lui dites pas la vérité», l’aurait souffleté le ministre de la Défense. «Depuis leurs relations restent fraîches mais sans plus», résume un proche du ministre. Celles avec Pierre De Vi­lliers, le chef d’état-major des armées, sont à l’inverse radieuses. «Ils ont tous deux l’humilité des très bons. Ce sont deux hommes de l’Ouest et deux taiseux. Ils fonctionnent très bien de concert», confie-t-on à l’Etat-Major. Surtout, sur les grands choix tactiques et les décisions d’envois de troupes, «il n’y a pas une feuille de papiers à cigarettes entre eux».

Ramener de l’ordre et rassurer les troupes, Jean-Yves Le Drian s’est employé à le faire dès son arrivée en signant l’arrêt de mort du système de réglements des soldes Louvois. Certains militaires se voyaient percevoir leurs soldes avec retard et sur des bases de calculs erronées. «Quand vous êtes sur le terrain, en Opex [opérations extérieures, ndlr], c’est important de savoir que vos familles vont recevoir la solde sans problème», explique le général Barrera, le patron de l’opération Serval au Mali. Jean-Yves Drian y a gagné son galon de «popotier» en chef.

Les industriels

Jean-Yves Le Drian lâche une bordée d’injures. Son ami Alain Bauer vient de l’avertir : en cette fin novembre 2014, Jean-Bernard Levy s’apprête à quitter la présidence de Thales qu’il occupe depuis tout juste un an pour celle d’EDF. Le ministre de la Défense tombe des nues. Personne à l’Elysée ou à Bercy n’a jugé bon de l’informer d’un départ qui déstabilise un fleuron de la défense et menace le pacte d’actionnaires entre l’Etat et Dassault chez Thales. De fait, averti du départ de Levy par les médias, l’homme fort des Dassault, Charles Edelstenne, voit rouge… «Pour résoudre un problème sur EDF, Bercy en a crée deux : avec Thales et avec Dassault», regrette un proche du ministre.

Dès son installation à l’hôtel de Brienne, en 2012, Le Drian avait pourtant clairement marqué son territoire : «Je suis le ministre des industries de la défense, avait-il claironné. Les décisions se prendront dans mon bureau et sous l’autorité du Premier ministre». Le message était clair : plus question de laisser l’Elysée trancher les dossiers industriels, comme c’était le cas sous l’ère Sarkozy. D’abord dubitatifs, les industriels avaient peu à peu pris la chose au sérieux. Car pour asseoir sa crédibilité sur des champions comme EADS, Thales, Dassault Aviation, Safran, DCNS, Nexter et quelques 4000 PME, Le Drian n’hésite pas à manier le bâton. Six mois après avoir critiqué devant les députés l’étalement du programme Fremm [programme de renouvellement des «frégates multi-missions», ndlr], Patrick Boissier, le patron de DCNS, fleuron de l’industrie navale française, s’était vu signifié son congé en cours de mandat… L’état-major de Dassault avait lui déjà compris le topo. De retour d’un déplacement à Abu Dhabi en octobre 2012, le ministre lâchait que la vente du rafale «empoisonnait nos rapports» avec les Emirats : «Les Rafale attendront.», avait-il ajouté. De quoi imposer le silence aux industriels. Et permettre à l’élu breton de tester sa méthode. D’entrée de jeu, il lance un plan de soutien aux PME, pour gagner le temps qu’il faut pour remplir les carnets de commandes des mastodontes du secteur. S’emploie à trouver au constructeur de blindés, Nexter, en difficulté, un partenaire étranger : le mariage avec l’allemand KNW devrait être conclu fin juillet.

Mais c’est à l’export que Le Drian sait devoir marquer des points s’il veut redynamiser une industrie plombée par la baisse des commandes de l’Etat. Début 2013, le comité des exportations de défense (COMED) qu’il met en place réunit autour d’une même table à Brienne, représentants de la direction générale de l’armement, industriels, diplomates et militaires. Objectif : s’accorder sur des argumentaires de vente des équipements français. Un travail de fond apprécié des chefs d’entreprise. Fort du soutien du Président et des performances du matériel français sur les théâtres d’opérations extérieurs (Mali, Centrafrique…), Le Drian s’impose en interlocuteur fiable au Moyen et Proche Orient. «Sissi [le président égyptien, ndlr] va nous acheter des Rafale ! Tu verras, tu verras !», jure t-il un soir d’hiver à son directeur de cabinet incrédule. A la fin du printemps, le ministre signe la vente d’une frégate multimission FREMM construite par DCNS à l’Egypte et surtout de 84 Rafale, à l’Egypte au Qatar, et à l’Inde…Pour Le Drian, c’est plus qu’il n’en faut pour respecter les objectifs de la Loi de programmation militaires jusqu’en 2018 et donner une bouffée d’oxygène à l’industrie. Et le jackpot est pour Dassault, qui en oublie ses bisbilles avec l’Etat sur le pilotage de Thales. Provisoirement.

La Bretagne

Pour avoir roulé avec lui sur ses terres bretonnes, le «blaireau» Bernard Hinault, quintuple vainqueur du tour de France, salue en Le Drian, fan, «un bon rouleur, plutôt fait pour les étapes de plaine sur des petites distances. Mais faut dire qu’il n’a pas souvent l’occasion de s’entraîner vu son emploi de temps», l’excuse l’ancien champion. En Bretagne, Le Drian, président de la région de 2004 à 2012, «a quelques adversaires politiques mais aucun ennemi», assure un proche. «Il représente une sorte de condensé, de précipité de ce qu’est la gauche socialiste de l’ouest de la France», souligne un député.

Passé par la Jeunesse ouvrière chrétienne puis l’Unef, il a aussi fréquenté le Grand Orient de France et sa «République laïque sociale une et indivisible». Sans pour autant mettre au rencard son identité bretonne et sa sensibilité girondine dans un Etat jacobin. Poussant par exemple à la création de la Maison de la Bretagne à Paris, qui réunit régulièrement tous ceux qui comptent de la colonie bretonne de la capitale : chefs d’entreprise, journalistes, acteurs, etc. A l’Assemblée, une forme de solidarité d’élus bretons a parfois pris des allures de «Breizh power». Une Bretagne dont Le Drian a une vision qui n’inclut pas Nantes et la Loire-Atlantique. Le ministre a eu l’occasion de peser de tout son poids en ce sens lors de la finalisation de la dernière réforme régionale. Gageons que les électeurs lui en seront une nouvelle fois gré lors du scrutin de décembre, où il devrait bien être tête de liste.