Mike Horn : « L’aventure est la richesse des pauvres »

Toute sa vie, il a voulu aller vers l’inconnu. Il a descendu l’Amazone, suivi la ligne de l’équateur sur 40 000 kilomètres, bouclé le tour du pôle Nord, durant la longue nuit polaire. Ses connaissances sur la nature, sa splendeur et ses dangers, ses combines de terrain représentent son plus précieux trésor. Il aurait dû mourir dix fois, mais il est toujours là. De passage à Paris, pour la sortie de son livre Vouloir toucher les étoiles (XO), Mike Horn, ce conquérant de l’impossible, âgé de 49 ans, nous parle de ses dernières aventures en Himalaya, de son épouse récemment emportée par la maladie et de son appétit de vivre tous les jours au maximum.

Quelle forme d’aventure êtes-vous allé chercher en Himalaya ?

Mike Horn : Le défi consistait à gravir quatre sommets de 8 000 mètres à la suite, sans oxygène, sans porteurs, sans cordes fixes. Dans le groupe, j’étais le novice. Autrefois, j’avais bien escaladé la cordillère des Andes culminant à 6 000 mètres, mais je ne savais pas si j’allais tenir le coup plus haut. Je pensais compter sur les autres, mais le guide suisse Jean Troillet m’a laissé me débrouiller tout seul. Je ne vous dis pas combien j’ai galéré dans le couloir des Japonais. Traditionnellement, je suis un voyageur au long cours. J’accomplis des traversées en bateau, à ski ou en kayak. Mais à aucun moment, je n’ai eu à affronter la raréfaction de l’oxygène. C’est très déstabilisant. La pente est de plus en plus raide, plus technique, puis tout se ralentit, et cela devient presque plus intéressant que d’avancer vite. C’est une bataille sans fin contre l’épuisement. Il faut tout donner dans un temps bref, mais l’émerveillement est puissant, l’état de grâce incroyable. On m’a dit de ne pas m’éterniser au sommet. Mais une fois là-haut, je n’arrivais pas à bouger, malgré toute la volonté du monde. Tu vois ta vie passer seconde après seconde. Ton esprit se balade au-dessus des nuages, et tu te dis : je peux mourir, ce n’est pas grave. Mais, heureusement, l’esprit de survie est tapi quelque part en moi. Une petite voix très lointaine m’a dit : Fous le camp ! »

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En redescendant, qu’est-ce qui vous prend de donner votre piolet, assurance-vie de tout grimpeur, à un alpiniste en difficulté ?

C’est la nuit, il a fait une chute spectaculaire. Sous le choc, il a perdu son sac, ses gants, son matériel. Il hurle comme un cochon en train de se faire égorger. Je le rassure, mais il vire dingue, marmonne que son piolet a disparu et que je ne peux le laisser comme ça. Je n’ai pas la force de le traîner, nous sommes à la limite de la zone de la mort. Mais, en même temps, je ne peux pas l’abandonner. J’hésite, et lui cède mon piolet, en espérant le récupérer plus bas, mais le gars, une fois arrivé au camp III, refuse de me le rendre. Cloîtré dans sa tente, il est hystérique. Je me dis que je ne vais pas empoigner un gars que je viens de sauver.

Pourtant, vos compagnons d’expédition vous font comprendre que vous n’avez pas le choix.

Effectivement, on me fait comprendre que j’ai déconné, et que, même si je dois me battre, il faut que je récupère mon piolet. Ce que je fais, finalement, sans hésiter, pour sauver ma peau. Je comprends que la montagne au-delà de 7 000 mètres n’est pas une place pour aider l’autre. La peur de mourir fait que l’homme devient fou, et cela peut devenir dangereux. Cela dit, la montagne, c’est aussi du partage. Si j’avais été dans la même situation, j’aurais aimé que l’on vienne me secourir. C’est vrai que j’ai été choqué par le comportement de cet alpiniste. Plus tard, pourtant, au K2, quand j’apprends que trois jeunes Iraniens sont en perdition au sommet du Broad Peak, je suis incapable de repartir sans avoir tenté quelque chose, même si cela doit compromettre notre expédition. Au téléphone, le père d’un survivant me suppliait de les secourir. Au bout d’un moment, j’ai réalisé qu’il me donnait de fausses informations sur leur localisation. Ce père de famille était prêt à dire que la Terre est plate pour que les recherches se poursuivent. Je savais que c’était trop tard, mais par respect pour sa douleur, j’ai accepté de continuer, en vain. Ce père avait besoin que l’on tente l’impossible pour accepter le pire.

Qu’est ce que vous avez appris en Himalaya ?

J’ai appris la patience, à accepter l’échec, à nouer des contacts au cours de l’effort. Quand on est au bout du rouleau et que l’on voit son copain s’épuiser à faire la trace, on ne peut qu’apprécier son effort, et cela m’incite à faire la même chose. La montagne est un sport d’équipe.

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Votre épouse était la fée de vos aventures, comment vivez-vous son absence ?

C’était une femme faite pour moi. Je suis un homme d’action et elle m’a donné la liberté de faire tout ce que j’ai accompli. On m’a souvent demandé comme je pouvais risquer ma vie alors que les miens m’attendaient, si j’étais inconscient ou terriblement égoïste. Mais qui dit que je ne donne rien en échange à ma famille. Mon épouse a géré l’organisation de mes expéditions, car elle voulait que je rentre à la maison. Une chose est claire : je rentre par amour. Ce sentiment m’accompagne à chaque exploration. Dans les moments critiques, perdu à des milliers de kilomètres, la force du lien se révèle. Cathy avait préparé son départ, en partageant le travail avec nos deux filles. Quand elle est décédée, c’était presque facile. Annika et Jessica ont pris le relais auprès de moi. Puis, tous les trois, nous sommes partis au K2. Nous avons traversé en voiture la Russie, le Tadjikistan, l’Afghanistan et le Pakistan. On leur a transmis cette certitude que la vie vaut d’être vécue et explorée, parce qu’on ignore quand tout finira. Les années passent, je deviens plus sage, mais je n’ai rien perdu de mon enthousiasme. J’ai besoin de cet élan pour avancer, de réaffirmer que je suis vivant. Plus on avance dans l’âge, moins on aspire au mouvement. Je ne veux pas mourir à petit feu.

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Les scientifiques ont découvert de l’eau sur Mars. Seriez-vous tenté d’en faire le théâtre de nouvelles aventures ?

C’est un voyage attirant. L’environnement est semblable au pôle Nord, où j’ai passé deux ans en solitaire. Mais c’est un projet d’au moins seize ans. Il faut déjà quatre ans pour aller sur Mars. Et je serai trop vieux. L’homme a détruit la Terre. Pourquoi aller sur Mars, y mettre nos empreintes, alors qu’il y a encore tant de choses à découvrir et à protéger sur notre planète. Je rêve de travailler avec les requins, de traverser le désert de Namibie et Okavongo. L’année prochaine, je pars pour un tour du monde par les deux pôles. En mourant, les artistes lèguent leurs œuvres, l’architecte ses monuments. J’aime penser que je laisserai l’envie de vivre libre. Toute ma vie, j’ai cherché à aller au-delà du mur, pour m’enrichir de l’intérieur. Et cette démarche, tout le monde peut l’adopter à son échelle. La vraie valeur dans la vie est en nous, et la Bourse peut s’écrouler, cela ne changera rien. Les riches peuvent se payer de beaux exploits. Ils achètent le frisson, car leur vie est fade. Et c’est en cela, à mon sens, que je considère l’aventure comme la richesse des pauvres.

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