Pourquoi l’eurodéputé Aymeric Chauprade quitte le FN

Exit Aymeric Chauprade. Son implication dans la rocambolesque affaire «Air Cocaïne» a représenté l’écart de trop de la part de l’eurodéputé du Front national. Très fragilisé en interne, l’ex-conseiller diplomatique de Marine Le Pen a pris les devants et annoncé sa démission en des termes fracassants dans des entretiens sur I-Télé et au Figaro. «Cette affaire est un élément déclencheur», reconnaît auprès du quotidien Aymeric Chauprade, qui a organisé en République Dominicaine l’évasion de deux pilotes français soupçonnés de trafic de drogue et retenus dans le pays – une «opération patriotique», a-t-il expliqué après-coup. Potentiellement désastreuse pour l’image du parti, l’affaire avait consterné la direction frontiste.

Conseiller diplomatique officieux de Marine Le Pen depuis 2010, Aymeric Chauprade avait vu son rôle officialisé en début 2014, peu avant les élections européennes, où il avait été catapulté tête de liste en Île-de-France. Il avait notamment fait profiter le Front national de ses relations avec les milieux nationalistes russes. Une première querelle l’avait opposé à la présidente du FN en janvier 2015 : dans une vidéo publiée après les attentats de Paris, il dissertait sur l’imminence d’un «choc des civilisations» et comparait les musulmans aux Allemands d’avant 1933, «pacifiques» et pourtant sur le point de porter le nazisme au pouvoir. Chauprade avait également dénoncé, plus ouvertement que d’autres, notamment au moment de l’éviction de Jean-Marie Le Pen, l’influence d’un supposé «lobby gay» au sein du FN, organisé selon lui autour de Florian Philippot.

Etoile filante du marinisme

Ces saillies lui avaient coûté son titre de conseiller diplomatique, ainsi que celui de chef de la délégation frontiste au Parlement européen. Ce nouvel épisode lui vaut désormais sa carte du FN – mais pas son siège de député européen, qu’il souhaite conserver hors du groupe FN. Sur Twitter, Marine Le Pen a semblé s’attribuer l’initiative de la rupture, après avoir déjà condamné publiquement l’escapade dominicaine de Chauprade :

Surtout après l’affaire Air Cocaïne, nos désaccords avec A.Chauprade étaient devenus trop importants et son maintien au FN impossible. MLP

— Marine Le Pen (@MLP_officiel) 9 Novembre 2015

Aymeric Chauprade rejoint ainsi la liste des étoiles filantes du marinisme, aussi vite éjectés du parti qu’ils y avaient d’abord été promus par sa présidente – tels les anciens cadres Laurent Ozon ou David Mascré. Mais l’eurodéputé a choisi d’habiller son départ d’une virulente charge contre Marine Le Pen, dont il dénonce auprès du Figaro«deux trahisons» : l’avoir marginalisé en 2015 «sous un faux prétexte», puis avoir exclu du FN Jean-Marie Le Pen, soulignant que ce dernier «disait déjà exactement la même chose quand Marine Le Pen en avait encore besoin»

«Le FN est devenu un étouffoir»

Au fil de son entretien au Figaro, Chauprade s’applique à mettre le doigt dans toutes les plaies frontistes : éjection du cofondateur du parti, influence de Florian Philippot, mais aussi critique d’une ligne économique jugée trop étatiste… «Le Front national est devenu un étouffoir, on ne peut pas penser au Front national», assène le géopoliticien. Qui, dénonçant  «les opportunistes [qui] arrivent en masse au FN», valorise en revanche la ligne de Marion Maréchal-Le Pen, considérée, elle, comme une représentante de la «droite crédible». Chauprade est un proche de la députée de Vaucluse, dont il a par exemple cornaqué le voyage à Moscou début octobre. Marion Maréchal-Le Pen n’avait, elle, pas hésité, au mépris des consignes de sa tante, à partager sa vidéo de janvier 2015 sur les réseaux sociaux. Enfin, les deux élus partagent le même conseiller en communication.

Les propos de l’ex-conseiller semblent ainsi démontrer l’existence d’une «autre tendance» en interne. Régulièrement niée ou minimisée par la direction du FN, cette ligne «libérale-identitaire» a été tenue sous le tapis par les bons résultats du parti, ainsi que par la redoutée sélection des candidats aux régionales. Ce lundi, Chauprade lui a pourtant donné corps en reprenant tout son argumentaire. Reste à voir les conséquences de ce nouvel épisode sur un appareil déjà troublé par l’éviction de Jean-Marie Le Pen. De son côté, le conseiller déchu a déclaré souhaiter la «recomposition d’une grande droite crédible et assumée» autour de la figure souverainiste-réactionnaire Philippe de Villiers, dont le livre aux relents complotistes cartonne en librairie et qu’il avait déjà soutenu lors des européennes de 2004. Ce lundi soir, Marine Le Pen a perdu un cadre et gagné un nouvel ennemi.

Dominique Albertini