Écosse : sur les traces de « Macbeth »

Il fallait un culot monstrueux pour oser proposer un nouveau Macbeth au cinéma. Ce n’est pas comme si Orson Welles, Akira Kurosawa et Roman Polanski n’étaient pas déjà passés par là. Inconnu au bataillon, novice dans le métier (seulement trois longs-métrages à son actif) et débarqué d’Australie, Justin Kurzel est à l’évidence un réalisateur tête brûlée. Ce qui, après tout, cadre bien avec le roi fou furieux de Shakespeare. S’il ne révolutionne pas le genre (mais qui pourrait prétendre révolutionner Shakespeare ?), Kurzel lui offre une poigne visuelle exceptionnelle. Poigne qui doit autant aux choix de mises en scène, spectaculaires leçons de compositions picturales, qu’aux décors naturels dans lesquels elles prennent place. Et peut-être est-ce, au fond, le principal mérite de ce film. Rappeler que derrière la légende, il y a une terre, mythique elle aussi : l’Écosse.

Oubliez le Loch Ness. Ce ne sont pas les monstres mais bien les fées qui pullulent au pays des Scots, en particulier sur la célèbre île de Skye. Malicieuses, malheureuses ou dangereuses, vous les trouverez partout. Sous les ponts où leurs larmes dévalent, élixir glacé de jeunesse pour les braves capables d’y plonger le visage (the Fairy Bridge, au-dessus de la rivière Sligachan) ; au creux des montagnes noires des Cuillin, où elles ont installé leurs piscines bleu émeraude (the Fairy Pools) ; ou encore entre les vertes poussées d’une vallée clandestine aux panoramas étourdissants (the Fairy Glen). Rien d’étonnant aux rêves cabalistiques qui assaillent les héros shakespeariens. Dans ces contrées pas si lointaines, la magie se respire aussi profondément que le vent qui vous frappe au visage.

The Fairy Glen, île de Skye © Phalène de La Valette

The Fairy Glen, île de Skye © Phalène de La Valette

Shakespeare, ce bonimenteur

Et il frappe diablement fort sur les côtes escarpées de la colline du Storr ! Impossible de tenir droit sous ses assauts persistants. Le seul à ne jamais vaciller, c’est lui, le vieil homme de pierre, « The Old Man of Storr ». Un monolithe de 55 mètres né de l’érosion du plateau basaltique et se dressant fièrement contre l’horizon. Il n’est pas le seul. Sur Skye, c’est la nature entière qui semble défier les cieux embrumés.

The Old Man of Storr, île de Skye © Phalène de La Valette

Le saviez-vous ? L’animal officiel du pays est la… licorne ! C’est dire le caractère insalissable de ces lieux. Une beauté indomptable, aussi attirante qu’hostile, à l’image des grandes formations rocheuses du Quiraing qui, dans le film de Justin Kurzel, voient défiler l’armée de Macbeth à son retour de guerre. Moment historique, s’il en est, qui montre le roi Duncan sceller inexorablement son destin en nommant son futur meurtrier « Thane of Cawdor ».

Quiraing, île de Skye © Phalène de La Valette

Stéphane Bern peut l’attester (il a écrit un livre entier sur le sujet), le château de Cawdor existe bel et bien. De même qu’une Lady Cawdor, élégante comtesse douairière et fidèle maîtresse des lieux, qu’elle ouvre au public chaque printemps jusqu’à l’automne. Mais Macbeth n’y a jamais mis les pieds, pour la simple et bonne raison qu’il n’était pas construit à son époque. On y apprend que Shakespeare est un charlatan. Du moins, sur le plan historique. À en croire la comtesse, en fait de traître criminel, Macbeth, qui, on l’oublie souvent, a vraiment existé, « est le meilleur roi que l’Écosse ait jamais eu ». La pièce a « ruiné sa réputation » et il faudrait la réhabiliter. « J’aimerais qu’on érige un monument en l’honneur de Macbeth dans cette région de Moray où il est né », va jusqu’à professer Lady Cawdor.

Château de Cawdor © Phalène de La Valette

Macbeth, un grand roi

À ce point ? À ce point. D’après Cameron Taylor, auteur de On the Trail of the Real Macbeth, King of Alba, « Mac Bethad mac Findláich » n’a pas grand-chose à voir avec sa représentation théâtrale. « Il n’a pas assassiné Duncan, il l’a affronté sur un terrain de bataille. Et loin d’être court et tragique, son règne a duré dix-sept ans, de façon très paisible et prospère. Quant à Lady Macbeth, rien n’indique qu’elle ait été la femme hallucinée et sanguinaire qu’on imagine depuis Shakespeare. »

Tant pis pour le folklore et pour Marion Cotillard (très convaincante dans le film de Kurzel) ! Mais l’île de Skye n’a, au fond, pas besoin de ces fioritures. La folie, on la trouve amplement dans ses paysages. Un dernier regard jeté du haut des falaises dramatiques du Nest Point suffit pour s’en convaincre. Ce n’est pas pour rien que Lars von Trier est venu y filmer son manifeste Dogma, Breaking the Waves (césar du meilleur film étranger en 1997). L’Écosse reste décidément une terre indomptable.

Nest Point © Phalène de La Valette