Après une nuit chez Lactalis, les producteurs de lait entre espoir et résignation

Changé (France) – « On a eu un contact mais on marche sur des oeufs », a assuré à l’AFP Philippe Jéhan, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de Mayenne, à son retour mardi matin de la traite des vaches.

Présent une grande partie de la nuit aux côtés de près de 400 agriculteurs qui ont répondu à l’appel des FDSEA (syndicat majoritaire) et Jeunes Agriculteurs (JA) de l’Ouest, il poursuit le blocage du rond-point rebaptisé « la honte du lait« , situé à l’entrée de l’usine Lactalis pour « maintenir la pression« .

« Une main a été tendue« , reconnaît aussi Pascal Clément, président de la section laitière de la Fédération régionale des syndicats agricoles (FRSEA) du grand Ouest.

« Ca commence à discuter mais l’écart reste énorme » quant au prix du lait, tempère-t-il toutefois, assurant que les agriculteurs « seront encore là ce (mardi) soir« .

De ce contact, on n’en saura pas plus. « Ce sont des préparations » en vue d’une réunion, souligne sans autre détail Philippe Jéhan.

Près de 200 agriculteurs, avec en tête de cortège ceux du Pays de la Loire, ont assuré mardi en début d’après-midi la relève des éleveurs mayennais qui ont assuré le siège devant le géant laitier toute la nuit.

Dans un décor de ferme improvisé, trois vaches laitières se promènent sur le rond-point, entourées de bottes de foin et d’une dizaine de tracteurs sous une chaleur étouffante.

– ‘peur pour les jeunes’ –

Pour se protéger du soleil, les agriculteurs se sont réfugiés sous le chapiteau dressé par les JA la veille.

Parmi eux, un couple de vendéens « en colère et déprimé« , a interrompu ses vacances pour apporter son soutien. En contrat avec Lactalis, « il ne travaille que pour payer ses factures« .

« Cette année, j’ai fait mes comptes, je n’ai plus de réserve, je puise dans ma trésorerie personnelle, jusqu’à ce que je n’aie plus rien« , dit l’agriculteur de 55 ans.

A quelques années de la retraite, il avoue « avoir peur pour les jeunes« . « Je m’en tire à peu près grâce à mes réserves mais quand je vois les jeunes qui viennent d’investir plus de 200.000 euros, comment vont-ils faire ‘, s’interroge-t-il.

Cette somme, c’est le montant du prêt de Pierre, un Breton de 20 ans tout juste installé dans le Morbihan. Il produit 500.000 litres de lait avec ses 60 vaches laitières et ne « sait plus quoi faire« .

Autour de lui, des agriculteurs plus anciens tentent tant bien que mal de le rassurer mais à demi-mot, le Breton dit « regretter son choix« .

« On nous promettait plus de 300 euros les 1.000 litres de lait, on est loin du compte!« , dit-il amer. Acculé par les dettes, il vit de 400 euros, et ne voit « aucune embellie« . « On ne sait pas où on va, c’est encore plus grave« , poursuit-il.

Loïc, lui, a passé la nuit dans son tracteur, posté près de l’usine Lactalis; « déterminé à rester le temps qu’il faut« . Producteur depuis plus de 20 ans, il est venu exprimer son « ras-le-bol« .

« Je suis né dans le métier, j’ai 54 ans, je n’ai jamais vu une crise aussi profonde« , déclare le Mayennais au bord des larmes.

« On fait ce métier par passion, c’est ce qui nous fait tenir car on aime notre métier, autrement on aurait jeté l’éponge« , confie-t-il avant de quitter le « rond-point de la honte du lait » pour retrouver son exploitation en attendant son prochain tour de garde.