Berluti, tailleur grand luxe

La clientèle historique était sceptique. Il y a 4 ans, à l’aube de ses 120 ans, Berluti partait à l’assaut du prêt-à-porter. Pourquoi diable le bottier virtuose, orfèvre du cuir et maître de la patine, s’aventurait-il ainsi ? L’ambition de la maison était pourtant simple : décliner son amour des matières, pousser à son paroxysme l’attention portée aux détails pour satisfaire l’homme raffiné en quête de fantaisie germanopratine. Souliers, maroquinerie, vêtements, horlogerie, accessoires de sport, babyfoot et même pot à crayons… Rien n’échappe aux patines grand luxe des ateliers de Berluti.

Berluti, défilé printemps-été 2016 © DRBerluti, défilé printemps-été 2016 © DR
Berluti, défilé printemps-été 2016 © DR

L’art et la matière

Pour créer la silhouette de l’homme Berluti, la maison fait appel au « tailleur le plus créatif d’Italie », Alessandro Sartori. Celui qui a fait ses armes chez Zegna est alors confronté à un exercice périlleux : séduire une clientèle plus jeune sans pour autant faire fuir les aficionados historiques de la marque. Entre classicisme décalé et technicité virtuose, le styliste – qui vient tout juste d’annoncer son départ – donne vie à un prêt-à-porter viril, gorgé de caractère.

Dans le prêt-à-porter de luxe, la compétition se joue sur la finesse des matières. De ce point de vue, rares sont les concurrents à pouvoir rivaliser avec Berluti. Alligator patiné, cuir de Kangourou, cachemire d’exception, lin de Normandie… Les défilés de la maison sont une démonstration impertinente de qualité et de savoir-faire. Et, qu’importe si les looks de la collection podium sont difficilement portables, ils n’ont pour ambition que d’installer l’identité visuelle du mâle moderne. Édités en nombre limité, les vêtements du défilé ont su conquérir les commentateurs exigeants de la presse et surprendre une clientèle branchée, en grande partie asiatique.

Berluti SS 16 © DRBerluti SS 16 © DR
B-Way 3900 €, chemise col mao 430 €, car coat 3900 €.  © DR

Cultiver l’héritage du bottier

Pour apprécier la malicieuse minutie des artisans, il faut passer les portes gansées de cuir d’une des boutiques. On découvre alors un pardessus à la légèreté aérienne dont la douceur rappelle celle d’un cuir d’agneau et qui se compose de feuilles de papier, traitées pour être déperlantes. Chez Berluti, le modeste papier se pare des atouts d’une peau de bête : faisant fi du culte de la préciosité, les ateliers magnifient toutes les matières.

La sobriété apparente des vêtements se marie à la grande délicatesse portée aux détails. Boutonnières cousues main (45 minutes pour monter chacune d’entre elles), pièces métalliques en laiton et argent vieilli brossé, pattes de serrage ajustables en cuir précieux, boutons en corne véritable… Le luxe ne se veut pas ostentatoire, mais s’exprime dans la précision du travail de perfectionnistes inspirés.

Au fil des collections, Alessandro Sartori file la métaphore stylistique des emblématiques du style Berluti, sans subir le poids l’héritage d’une maison à patrimoine. Bien sûr, le cuir rythme la collection, mais il s’exprime aussi avec modération au détour de détails discrets. Des lacets de chaussures en cuir de veau surpiqué se mêlent harmonieusement aux mailles torsadées d’un pull. L’œil connaisseur fait le parallèle entre la balafre qui pare la poche des vestes et les souliers Gaspard, dont le cuir est incisé comme une toile de l’artiste Lucio Fontana. Les amateurs de reflets jetteront quant à eux leur dévolu sur le B-way, sorte du « k-way de luxe » facturé 3 900 euros. Le best seller de la maison, qui peut prendre la forme d’un petit coussin une fois replié, a vu son cuir bleu nuit patiné au chalumeau.

Berluti, forestière, Arnys © DRBerluti, forestière, Arnys © DR
Maille col rond avec broderies en lacets 1700 €, blouse en lin 550 €, veste Forestière prix sur demande. © DR

Doha, la nouvelle rive gauche

Outre ces collections, Berluti perpétue l’héritage esthétique de la maison Arnys, une célèbre maison qui a habillé Jean Cocteau, Le Corbusier, ou encore Pierre Moscovici et François Fillon, à travers des collections capsules, de mailles, de vareuses et bien sûr de Forestières. La veste imaginée pour le célèbre architecte suisse est inspirée de l’habit traditionnel des garde-chasses de Sologne. Elle se décline à présent dans les coloris fétiches du vieux tailleur : anis, brique, moutarde, mais également dans les matières plus exotiques, chères au bottier italien. Comble du chic, la patine des vestes en croco peut s’assortir à celle des souliers… Il se dit que les Qataris en sont fans.