Financement du culte musulman : la valse du couple exécutif

Les derniers attentats revendiqués par Daech ont de nouveau mis en lumière l’incohérence motrice du couple exécutif. Dans Le Journal du dimanche, Libération et Le Monde, Manuel Valls a ouvert la porte à « une forme de financement public » des lieux de culte musulmans. Face aux journalistes de la presse présidentielle, le chef de l’État a contredit son Premier ministre : lui président, il n’y aura pas de financement public.

« On ne va pas ouvrir un brûlot à l’automne prochain »

Chez les hollandais, on tente de minimiser ce désaccord. « Je ne sais pas s’il y a vraiment une opposition entre les deux. De toute façon, on ne peut pas faire de financement public avec la loi de 1905. Et je ne crois pas une seconde qu’elle soit modifiée par une nouvelle loi. On ne va pas ouvrir un brûlot à l’automne prochain », désamorce Bernard Poignant, ancien maire de Quimper et conseiller du président.

Pourtant, chez les vallsistes, on a du mal à digérer le camouflet public. « Je n’ai pas compris la sortie du président. Il a été maire de Tulle. Il a été confronté à des demandes de construction de lieux de culte. À chaque fois les maires font des contorsions avec la loi de 1905 pour que le contrôle de légalité se passe bien », s’indigne Luc Carvounas, véritable lieutenant du Premier ministre.

La loi de 1905 reste et restera notre totem mais @manuelvalls a raison de poser le débat du financement des lieux de culte. #LaiciteModerne

— Luc Carvounas (@luccarvounas) 3 août 2016

Ce n’est pas la première fois que les deux hommes affichent leurs désaccords. Dans le conflit à Air France, Valls soutenait la direction tandis qu’Alain Vidalies, secrétaire d’État aux Transports et proche de François Hollande, adoptait le parti des syndicats. Il y a aussi eu le désaccord sur la réforme du chômage : en octobre 2014, Valls avait tenté d’ouvrir le débat sur les indemnités du chômage. Le chef de l’État lui a demandé de se concentrer sur les réformes en cours. Plus récemment, on peut également citer l’arbitrage du président en faveur de Bernard Cazeneuve qui ne souhaitait pas interdire la manifestation, contrairement à Manuel Valls. À chaque fois, le couple se livre à une valse en deux temps, véritable danse du quinquennat. Le Premier ministre fait savoir qu’une question mérite d’être posée, ou affirme carrément sa position sur un sujet, et l’Élysée fait savoir qu’il n’en est pas question.

Rien d’étonnant. Les stratégies politiques des deux hommes sont opposées : Hollande joue son rôle de président de tous les Français, et en particulier de toute la gauche. Il est persuadé qu’il ne pourra pas gagner en 2017 sans la rassembler. De son côté, Manuel Valls souhaite une recomposition du paysage politique. Pour lui, l’avenir du PS consiste à gouverner avec le centre et se débarrasser de cette gauche de la gauche qu’il déteste tant, de Martine Aubry aux Verts en passant par les frondeurs et les communistes.

« Si Valls bouge, il bouge. Mais il ne fera pas de demi-pas »

Pour affirmer son identité politique et occuper l’espace médiatique, le Premier ministre prend régulièrement position sur des sujets de société, quitte à froisser le chef de l’État. Tant pis s’il hérisse une partie de son camp et des électeurs de gauche. La stratégie a, pour l’instant, été adoptée avec succès par le ministre de l’Économie Emmanuel Macron. Pour Valls, elle marchait à la perfection lorsqu’il était ministre de l’Intérieur et au début de son exercice de Premier ministre. Mais depuis quelques mois, sa cote de popularité est tirée vers le bas par celle du président le plus impopulaire de la Ve République. Peut-être a-t-il en tête l’exemple de François Fillon, jugé en partie responsable du bilan du quinquennat sarkozyste, et qui ne cesse d’affirmer, en privé, qu’il aurait dû démissionner.

À l’approche de la présidentielle, cette situation semble de plus en plus intenable. « Depuis fin juin, début juillet, je sens qu’il réfléchit à ce qu’impliquent ces événements [les attentats, NDLR]. Pour l’instant, il est Premier ministre à 100 % mais on verra après les vacances », croit savoir le député Malek Boutih, qui n’a jamais caché sa bienveillance envers le Premier ministre. « Parfois, dans un couple, on évite de soulever des désaccords car on a le sentiment que ça va soulever autre chose, entraîner des conséquences plus lourdes. Si Valls bouge, il bouge. Mais il ne fera pas de demi-pas », résume un parlementaire vallsiste. Seul ou en couple, le Premier ministre tentera de garder le rythme de la course présidentielle.