Le « patrimoine universel », nouvelle utopie électorale de François Hollande?

Le président de la République préfèrerait à la mise en place d’un revenu universel la création d’un « patrimoine de départ » pour tous, sous la forme d’un prêt garanti par l’Etat. Nouveau cadeau électoral, projet sérieux, ou songe creux?

Un ballon d’essai, avant d’annoncer sa candidature à un second quinquennat? Selon L’Obs, François Hollande a confié à un proche qu’il songeait à une réforme pour doter chaque Français d’un prêt garanti par l’Etat, un « patrimoine de départ », destiné à contrer les inégalités. Sous la forme d’un cadeau de bienvenue dans la société, à un âge qui n’est pas précisé. Contrairement au revenu universel, ce système ne susciterait pas « sarcasme ou ironie », selon les propos rapportés. Car un prêt, lui, se rembourse.

Contacté par L’Express, l’entourage du président ne confirme pas cette piste de réflexion. A l’heure où les déroutes d’Hillary Clinton aux Etats-Unis et des partisans du Remain au Royaume-Uni sont attribuées au ressentiment des classes populaires contre une mondialisation inéquitable, il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’un président en exercice se penche sur la question des inégalités. D’autant que son Premier ministre, et potentiel rival, Manuel Valls a pris position pour un revenu garanti.

« Ce n’est pas forcément une mauvaise idée »

« Ce prêt, qui permettra d’acquérir un logement ou autre chose, sera pour beaucoup la condition pour s’en sortir », est censé avoir confié le chef de l’Etat. Acheter son logement, avec des prix immobiliers toujours aussi élevés? C’est dire si le projet, qui semble tomber des nues, est généreux. « Cela me rappelle la proposition de l’économiste Tony Atkinson, mais lui parle d’un don financé par l’impôt », relève pour L’Express Michael Förster, spécialiste des inégalités à l’OCDE. Le revenu universel impliquant déjà des problèmes de coût, le financement d’un patrimoine universel est-il envisageable?

« Ce n’est pas forcément une mauvaise idée. Elle se rapproche des prêts à remboursement contingent qui se pratiquent dans les pays scandinaves », décrypte pour L’Express Guillaume Allègre, à l’OFCE. « Il s’agit de prêts garantis par l’Etat pour financer ses études. Ils ne sont à rembourser qu’en cas d’obtention de revenus suffisants. Mais les sommes ne sont pas aussi importantes que celles qui permettent d’acheter un logement. » Quant à Tony Atkinson, il plaide pour « un héritage minimum universel, distribué à tous, à l’âge de 18 ans », explique L’Obs dans un article d’analyse.

« A-t-on a besoin d’une usine à gaz pareille? »

Le problème du financement se repose, à moins de faire une réforme fiscale révolutionnaire. Les prêts contingents scandinaves sont remboursés à 90%, ce qui limite leur impact budgétaire. Prêter de quoi s’acheter une maison à des personnes qui vont s’avérer insolvables, n’est-ce pas reproduire le risque d’une crise des subprime, cette fois à l’initiative de l’Etat? « Prêter pour l’achat du logement sans prendre les revenus en compte, c’est une fausse bonne idée », reconnaît Guillaume Allègre. « Il faudrait réserver ce type de financement pour les études, ou pour la création d’entreprise. »

« A-t-on besoin d’une usine à gaz pareille? L’argent public manque! Le scandale du logement, c’est que les 55-70 ans exploitent les jeunes avec des loyers hyper-élevés. Ce gouvernement a fait voter des dispositions qui permettent de défiscaliser pour ses propres enfants, elle est où sa boussole? », s’insurge pour L’Express Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Il dénonce avec tout autant de force les projets de revenu universel: « Il faut arrêter avec ça, il suffit de prendre une calculatrice pour comprendre que ça ne peut pas fonctionner. C’est un leurre politique. »

« Aucune solution ne se détache »

Différentes expériences de dotations des jeunes en capital ont été menées au Royaume-Uni, en Hongrie ou à Singapour, selon un rapport du centre d’analyse stratégique rendu en 2007 au Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin. En 2001, Tony Blair a créé le Child Trust Fund, qui dote les enfants des familles modestes de la somme de 500 livres (près de 600 euros au cours actuel), les plus aisés touchant deux fois moins. La somme reste bloquée jusqu’aux 18 ans du titulaire. Mais c’est aux parents d’abonder le compte. D’après les simulations, les enfants de riches toucheront quinze fois plus que les enfants de pauvres à leur majorité.

« Dans La Justice agraire, court essai publié en 1797, Thomas Paine proposait de verser une somme de 15 livres à tous les jeunes adultes arrivant à l’âge de vingt-et-un ans, afin de faciliter leur ‘commencement dans le monde' », écrit le centre d’analyse stratégique. Ce pécule devait permettre d’acheter une vache et des outils agricoles. Plus question de rembourser, sinon en devenant un citoyen responsable et productif. Voilà pour l’idéal de ce philosophe, un des pères fondateurs des Etats-Unis.

Mais un Etat moderne ne devrait-il pas être en mesure d’offrir aux citoyens ce « commencement dans le monde », notamment grâce aux infrastructures et à l’éducation financés par l’impôt? « La fonction publique, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas », vient de déclarer la ministre Annick Girardin. En France, « aucune solution ne se détache de l’ensemble des possibles », prévenaient les auteurs du rapport en 2007. C’est toujours le cas.