Gouvernance mondiale: y a-t-il un pilote dans l’avion?

L’Occident n’a plus le monopole des instances de gouvernance. La Chine, notamment, s’immisce dans les lieux de pouvoir, voire en initie de nouveaux.

Personne ne connaît Kim Yong Kim. Personne, en dehors de quelques initiés du grand jeu diplomatique. Grand front dégarni et petites lunettes rondes, cet Américain de 56 ans d’origine coréenne vient de signer pour un deuxième mandat à la tête de la Banque mondiale. La Banque mondiale? L’une des deux institutions, avec le FMI, héritières des accords de Bretton Woods en 1944, et dont la mission est l’aide financière aux pays les plus pauvres de la planète.

Une nomination passée totalement inaperçue, qui en dit long sur le poids que joue désormais cette vieille dame dans la gouvernance mondiale. Le suspense n’avait rien d’haletant: depuis soixante-dix ans, l’Occident se partage sans complexes les sièges: le FMI pour l’Europe, la Banque mondiale pour les Etats-Unis.

La Chine, l’Inde ou quelques géants africains ont bien toqué à la porte pour obtenir un strapontin. En vain. A mesure que la mondialisation se complexifie, le besoin d’une action coordonnée des Etats pour relever les défis du réchauffement climatique, de l’instabilité financière ou des inégalités croissantes n’a pourtant jamais été aussi pressant.

Certes, la COP a réussi à réunir autour de la table 195 Etats. « Quant au FMI, il a commencé sa mue idéologique en admettant que la libéralisation financière pouvait contribuer au creusement des inégalités dans de nombreux pays émergents », analyse Françoise Nicolas, maître de conférences à l’université Paris Est. Une façon de faire entendre une autre voix que celle du fameux consensus de Washington.

Reste que, sous l’impulsion de Pékin, d’autres instances de gouvernance voient le jour. « Pas forcément pour supplanter les anciennes, plutôt pour les compléter », soutient Thomas Gomart, le directeur de l’Ifri. Revue de détail de ces lieux de pouvoir qui compteront dans le monde de demain.

La New Development Bank, le banquier des Brics

Lorsqu’ils se retrouvent à Fortaleza à l’été 2014, les Brics sont très remontés. En 2008, le G20 leur a promis une réforme de la gouvernance du FMI… Mais, six ans plus tard, rien n’a changé. Sur initiative chinoise, le club des cinq crée alors sa propre banque de financement des infrastructures, la New Development Bank (NDB).

Pour Jean-Joseph Boillot, « la NDB est moins une alternative aux institutions existantes qu’un outil politique permettant aux Brics d’affirmer leur solidarité ». Son premier chantier: 719 millions d’euros investis dans les énergies renouvelables.

Le comité de Bâle, le gendarme de la finance

Il est sorti de l’ombre après 2008, quand la planète bancaire a frôlé le précipice. Créé en 1974, le comité de Bâle a pour objectif de s’assurer de la solidité du système financier mondial. C’est lui qui a exigé le renforcement du niveau et de la qualité des fonds propres des banques.

Son projet de réglementation, dit de « Bâle IV », qui va encore plus loin, a déclenché l’ire de la plupart des banques, notamment européennes. Les trois têtes de l’exécutif européen menacent même de ne pas voter ce texte. Le bras de fer ne fait que commencer.

La COP, le pompier de la planète

Attaquées pendant vingt ans pour leur faible bilan, les négociations onusiennes sur le climat ont redoré leur blason avec l' »accord historique » de Paris de décembre 2015, adopté et ratifié en un temps record. Pour la première fois, les industriels et acteurs de la société civile ont été étroitement associés aux discussions. Surtout, 195 Etats se sont engagés à contenir sous les 2 degrés l’augmentation de la température mondiale d’ici à 2100.

195 Etats ont signé, en décembre 2015, l'accord de Paris sur le climat, sous l'égide de la COP.

195 Etats ont signé, en décembre 2015, l’accord de Paris sur le climat, sous l’égide de la COP.

REUTERS/Jacky Naegelen

Maintenant, comment passer des belles promesses aux actes? La question a été au menu de la COP 22 de Marrakech, fin novembre. Sans accord international sur le prix du carbone, cet objectif semble intenable.

La Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (BAII), le financeur de l’empire chinois

C’est le bras armé de la Chine pour affirmer sa toute-puissance et sa volonté impériale. La Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, lancée en 2014 et initialement dotée d’un capital de 100 milliards de dollars, est l’outil financier qui va permettre à Pékin de financer son projet démesuré de « nouvelles routes de la soie ».

« Il s’agit de créer un vaste réseau d’infrastructures capable d’innerver un empire commercial s’étendant sur tous les continents et soutenu par une puissance militaire sinon incontestée, en tout cas suffisante pour dissuader les Etats-Unis », décortique Caroline Galacteros, spécialiste des questions internationales et de défense. Alors que les Etats-Unis et le Japon la boudent, la France est entrée au capital de la BAII le 16 juin dernier.

L’Icann, le régisseur du net

A la fin des années 2000, elle a été au coeur d’une discrète bataille entre les grandes puissances mondiales. L’Icann? L’organisation à but non lucratif gère depuis 1998 l’attribution des noms de domaine. Elle a donc pouvoir de vie et de mort sur les sites Internet. C’est peu dire que les enjeux financiers et de sécurité sont considérables.

Sous la pression de l’Europe, les Etats-Unis ont accepté début 2014 d’abandonner leur tutelle sur l’Icann au profit d’une gouvernance mondiale. A l’époque, un transfert des compétences à l’ONU est envisagé, mais Washington, craignant l’influence de la Chine sur la liberté du Web, refuse.

L’Organisation de Coopération de Shanghai, le challenger de l’Otan

Ironie de l’histoire, le jour où le Royaume-Uni claquait la porte de l’Union européenne, en juin dernier, le groupe de Shanghai réuni à Tachkent accueillait en son sein l’Inde et le Pakistan.

En une quinzaine d’années, l’OSC est devenue le club des pays nucléarisés non occidentaux. Son objectif : être un pendant géostratégique et militaire de l’Otan. « Les Etats-Unis ont bien tenté de frapper à la porte de l’OSC en demandant un poste d’observateur, cela leur a été refusé. De peur de subir le même sort, l’Europe ne s’est même pas portée candidate », décrypte Thomas Gomart.

Julie de la Brosse

L’Expansion