«Le seul message efficace, c’est « zéro alcool au volant »»

Peut-on continuer à faire baisser la mortalité routière en France ? Difficile pour les autorités de tenir un discours inverse. Pourtant, après des années de baisse ininterrompue, 2015 marque une hausse, la deuxième consécutive après 2014. Selon, l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), 3464 personnes auraient perdu la vie sur les routes de France, «soit 80 décès supplémentaires par rapport à 2014». Ce chiffre est encore provisoire et les résultats définitifs ne seront connus qu’en mai. Mais ils ne devraient pas fondamentalement changer. Dans ces conditions, l’objectif de passer sous les 2 000 morts avant 2020, est-il encore envisageable? Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, assure que oui. De nombreuses mesures ont été annoncées depuis un an : interdiction des oreillettes, renforcements des contrôles, installations de nouveaux radars, baisse du taux légal d’alcoolémie pour les conducteurs novices… Et jeudi, l’ONISR a présenté sa nouvelle campagne de sensibilisation «Onde de choc», qui rappelle qu’au-delà des accidentés eux-mêmes, le nombre de personnes (proches, amis, collègues) touchées par un accident de la route est bien plus large. 

Mais est-il possible de mieux faire en termes de prévention ? De nombreux acteurs du secteur réclament plus de fermeté. Dimitri Proust est de ceux-là. Chef du projet Préventour pour Euro-Assurance, il a sillonné la France les foires, les aires d’autoroute, avec un simulateur de conduite. Les automobilistes étaient invités à tester leurs automatismes dans des situations à risque : évitement, freinage d’urgence, non-respect de priorité, conduite en état d’ivresse. Dimitri Proust en a tiré la conclusion qu’en matière d’alcoolémie, il ne fallait pas transiger.  

L’an dernier, le taux légal d’alcoolémie est passé de 0,5 g/l à 0,2 g/l pour les conducteurs novices. Vous que cette mesure est encore trop timide ?

Oui, parce qu’en maintenant le taux de 0,5 g/l pour les autres conducteurs, on entretient les idées reçues. Comme celle, par exemple, qu’il ne se passerait rien sous cette limite. Or c’est faux. Dès le premier verre d’alcool, le temps de réaction augmente, le champ de vision rétrécit. Cela a un impact sur la conduite, qu’on le veuille ou non.

De plus, notre tempérament latin fait que l’on va discuter le bout de gras, en se disant que si je suis à 0,6 g/l, c’est jouable parce que dans une heure je serais en dessous. Ce taux de 0,5 g/l laisse une marge de négociation, alors on discutaille. Et par contraste, le discours sur les solutions alternatives, comme dormir chez des amis ou prendre les transports en commun, est moins audible. Il faut arrêter de communiquer sur des taux qui ne veulent rien dire. Le seul message efficace, c’est «zéro alcool au volant». Cette mauvaise habitude du dernier verre avant de prendre la route doit disparaître complètement.

Les gens que vous croisez n’ont pas conscience de ces dangers ?

Certains sont responsabilisés, notamment des jeunes. Mais à côté, vous avez une part considérable de personnes qui vont dire qu’elles ont le droit à deux ou trois verres, qu’elles ne savent pas trop où elles en sont, mais qu’elles vont quand même conduire. Nous avons réalisé une enquête de terrain lors de notre Préventour : 33% des répondants ont déclaré avoir pris le volant en sachant qu’ils étaient potentiellement au-dessus de la limite légale. Et encore, c’est ce que l’on nous déclare. Je pense qu’on est au-delà. Dans ce même questionnaire, 84% des interrogés disent connaître le taux légal d’alcoolémie. Mais quand on leur demande de préciser, 51% seulement donnent la bonne réponse !

Une conduite sur simulateur aide à cette prise de conscience ?

Les volontaires mettent des lunettes qui simulent l’alcoolémie et qui montrent son impact, sur le champ de vision notamment. Ils nous répondent que lorsqu’ils boivent, «ça ne fait pas ça». Les gens oublient que, par définition, lorsqu’ils boivent, ils ne se rendent pas compte. Car en plus, l’alcool désinhibe et renforce la confiance. Ce simulateur permet aussi aux usagers de déceler leurs mauvaises habitudes de conduite, ou de prendre conscience de l’impact de la vitesse.

C’est-à-dire ?

Il permet aux usagers de la route de se rendre compte qu’un petit écart, ne serait-ce que 5 km/h, crée une différence énorme en distance de freinage. Et tant que vous ne l’avez pas vécu, vous ne vous en rendez absolument pas compte. De manière générale, il y a une mauvaise foi ambiante autour de la vitesse. On nous cite l’exemple allemand, où il n’y aurait pas de limitation de vitesse. Cet argument, je l’ai entendu des milliers de fois. Il est fallacieux. Il s’agit seulement de quelques portions d’autoroute. Et lorsque vous pouvez percuter à 180 km/h, que ce soit en Audi ou en Mercedes, ce n’est pas beau à voir. Les accidents sont mortels à coup sûr. Un des enseignements intéressants concernant les derniers chiffres de la Sécurité routière, c’est que la vitesse a augmenté sur nos autoroutes en 2015. Or c’est là que l’on note une augmentation des accidents mortels. Est-ce corrélé ou pas, je ne sais pas, car plusieurs facteurs entrent en jeu, mais cette coïncidence des courbes m’interpelle.

Vous préconisez des piqûres de rappel durant notre vie de conducteur ?

A 200%. Repasser quelques heures de conduite, peut-être tous les 5 ou 10 ans, est nécessaire. Vous n’imaginez pas le nombre de personnes expérimentées, y compris des équipementiers chez qui nos sommes intervenus, qui sont sortis de la simulation en affirmant avoir appris quelque chose. J’ai été marqué par le fait que de nombreux automobilistes ne sont pas à jour. Ceux qui ont passé le permis depuis très longtemps ne savent pas toujours freiner avec un ABS. Ce système permet de ne pas bloquer les roues, mais à condition de ne pas freiner comme un malade, sinon l’ABS risque de ne pas entrer en fonction. Il faut aussi savoir rectifier la trajectoire. Et les ronds-points ! Un nombre incalculable de personnes m’a dit que lorsqu’elles ont appris la conduite, il n’y en avait pas autant. Elles disent qu’elles ne savent pas les négocier, que les ronds-points les effraient. J’ai même croisé une dame, lors de notre tournée, qui m’a dit qu’elle était descendue de son véhicule car elle était paniquée à l’idée d’en franchir un.

Il y a quand même certains pays où le nombre de morts est moins élevé alors que les normes, en matière d’alcoolémie ou de vitesse, sont moins sévères…

Quand on cherche les causes, il faut toujours regarder les chiffres dans leur globalité. Moi, je regarde ce qui se passe en France. Ici, on aime bien râler. Les gens ont l’impression que les mesures de prévention n’ont plus d’effet et se plaignent que l’Etat continue d’installer des radars. Mais je pense qu’il faut continuer sur cette voie. Certains vont jouer avec les limites, se dire qu’à 10 km/h au-dessus de la limite, ce n’est pas si grave. Or, c’est grave, les conséquences sont bien plus sérieuses qu’on ne l’imagine.

Richard Poirot